Les tribunaux religieux traditionnels se fondent principalement sur l’autorité d’une personne : celle du magistrat qui tranche seul dans les affaires en se référant uniquement à la religion et en s’appuyant sur les dogmes et sur les principes immuables de la Charia’a.
En août 2016, Mohamed Ould Oumar, 25 ans, a tué son cousin au cours d’une violente querelle à cause d’un chameau. Il nous relate sa version des faits et son expérience face du tribunal religieux : « Je n’avais pas l’intention de tuer mon cousin… Au début, c’était une dispute ordinaire ; mais c’est quand j’ai sorti un couteau pour lui faire que les choses ont mal tourné. La lame tranchante l’a atteint au cou et il est mort sur le coup. »
« Après ce qui s’est passé, mon père m’a emmené devant Ousmane, un juge religieux renommé qui statue dans le nord de Tombouctou et à qui la plupart des habitants du désert font appel pour résoudre leurs problèmes et réclamer justice », ajoute Ould Oumar.
« Après avoir pris connaissance de ce qui s’est passé, le juge a ordonné que je demande pardon à la famille de la victime et que mes excuses soient acceptées, pour que je puisse payer " le prix du sang " qu’il a établi à 20 chameaux. Entre-temps nous avons passé un accord avec la famille de mon oncle pour que la réparation soit payée par tranches et il ne me reste plus actuellement qu’à livrer huit bêtes, selon les échéances fixées », poursuit-il.
Ould Oumar reconnaît que la réparation ordonnée par le juge Ousmane est au-delà de ses moyens; mais il est content de cette sentence parce qu’il risquait l’exécution. Lorsque le conflit battait son plein dans le Nord du Mali, le même juge a en effet prononcé plusieurs peines de mort, sous la pression des groupes jihadistes présents à l’époque dans la région.
Ahmadou Ag Woudoun est un quinquagénaire qui a été arrêté pour vol dans le village de Tamachkoye, situé à trente kilomètres au nord-ouest de la ville de Goundame. Il nous confie : « Après m’avoir capturé, ils m’ont emmené chez le juge Ousmane les mains liées. Une fois arrivés devant lui, il a ordonné que je sois détaché et m’a posé nombre de questions, avant de me reconnaître coupable de vol et de me condamner à indemniser les plaideurs avec les vaches et les chèvres qu’on m’accuse d’avoir volées. »
Le juge Ousmane est l’un des juges religieux traditionnels les plus célèbres de la région. Beaucoup l’accusent cependant de complaisance et de soumission envers les groupes jihadistes. « On me dit complice des mouvements jihadistes parce que je prononce mes jugements conformément à la Charia’a de Dieu et selon la tradition de son prophète Mahomet. Je ne nie pas que les jihadistes ont aidé à appliquer des verdicts que je prononce, durant la période où ils avaient le contrôle de la région, mais c’est aussi ce que faisaient et ce que font encore aujourd’hui les autorités officielles » justifie le juge.
Le juge religieux estime qu’il ne fait qu’appuyer et compléter la magistrature civile. Aussi transfère-t-il certaines affaires complexes au tribunal de Tombouctou pour qu’elles soient réexaminées, en particulier si les parties n’acceptent pas le verdict religieux.
Pour sa part, Boubakr Cissé, avocat et conseiller juridique travaillant au sein du système judiciaire officiel, précise que « le juge religieux traditionnel n’est en aucun cas autorisé à contraindre les plaideurs ou une des deux parties en conflit à se conformer à son verdict, s’ils n’en sont pas pleinement convaincus. De même, aucune des deux parties qui s’affrontent ne peut contraindre l’autre à faire appel au tribunal traditionnel qui suppose obligatoirement que toutes les parties soient d’accord pour y recourir. »
Cissé assure que certains verdicts des tribunaux religieux traditionnels sont reconnus par la loi malienne, notamment depuis l’accord de paix et de réconciliation au Mali issu de processus d’Alger signé en 2015. Il confirme que normalement , pour les affaires complexes, ou lorsque les plaideurs contestent les verdicts prononcés, les juges religieux transfèrent les dossiers aux tribunaux civils en refusant de statuer.